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Kaotik 747 : la musique pour désenclaver les quartiers

Kaotik 747, de Saint-André de la Roche, s’engage dans ses textes pour une société plus bienveillante. Acteur de la culture dans sa cité, il espère la promouvoir bien au delà pour guider les jeunes en dehors de leurs quartiers populaires . Pour la démocratisation de la culture, il dénonce la ghettoïsation qui la freine. Il pointe du doigt deux responsables : l’Etat et l’industrie musicale.



« Artiste au rap positif prenant ouvertement position sur certains sujets. Bercé par les textes de Balavoine ou IAM, j'essaie de m'écarter des codes du rap ». Kao ou Karim de son nom de naissance nait et est adopté neuf mois plus tard dans la cité du Château de Saint-André de la Roche. Sur les réseaux sociaux il préfère qualifier ses productions de musiques urbaines et non de rap. Car le rap, comme il aime le préciser, il essaie de s’en écarter. Pas de sa musicalité, mais de ses codes dans lesquels pourtant il a baigné dès le berceau.


« J'ai menti, j’ai dit que je voulais rentrer à Nice pour faire du rap »

Choc culturel, à 13 ans il déménage à Toulouse dans une maison de campagne avec sa famille adoptive. Le terrain de foot en bas du HLM est remplacé par des vaches. Son éducation se veut stricte et droite, il n’a pas le droit de toucher au téléphone. Mais un jour il rentre du collège et voit un message qui bouleverse le cours de sa vie. Sa « vraie mère » entretient une relation avec sa grand- mère adoptive. Il n’était pas au courant. Le contenu du message est vif : « Je suis SDF à Nice et je viens de me faire violée dans la rue ». Il n’a plus qu’un seul objectif en tête: rentrer à Nice pour venger sa mère. Il lui faut trouver une excuse pour ne pas vexer sa famille d’accueil : « C’est là que j’ai menti, j’ai dit que je voulais rentrer à Nice pour faire du rap ».

Enfant de la DDASS, il est placé dans un foyer jeune délinquant : « C’est comme rentrer dans une prison, j’ai dû m’intégrer alors que je n’y avais pas ma place ». Il ne perd pas son objectif de vu. Il enregistre sa première maquette rue Trachel, dans un studio associative plus pour prouver à sa famille son sérieux que par amour du rap. Après quelques hésitations, il accepte de dévoiler un passage de son tout premier enregistrement. Les yeux pétillants de nostalgie, il récite : « L’oeuf pondu n’est pas couvert, mes rimes s’avèrent sévères meme si mon passé est un enfer pour le futur je persevere. » 20 ans après ce morceau, il continue de persévérer et commence réellement à vivre son rêve. « C’est comme si un jeune de quartier qui joue au foot se met à s’entrainer avec Zinédine Zidane du jour au lendemain. »

Pour un rap positif et bienveillant


« Tu veux faire quoi de ta vie ? » Retour des années en arrière, Karim est adolescent, menotté à un barre de fer en garde à vue pour un vol de scooter. Question anodine du policier mais pour « Kao », elle résonne encore aujourd’hui : « Ça a été la plus grosse classe de ma vie. » À l’homme en uniforme, il lui répond : « Je veux réussir ! ». Il n’a plus jamais remis un pied dans une cellule. Depuis musicalement parlant il a changé, d’un « rap old school », il s’est mis à la page. Mais sa vision est restée exactement la même : il prône la paix et l’humanité. « Il n’y a toujours aucune insulte, aucune arme, ni grosse voiture ni femmes dénudées dans mes clips. C’est ma ligne directrice, je m’y tiens ! » Changer la vision d’une société grâce à du rap c’est son but. Jamais il aurait crû que c’était possible mais il vit son rêve chaque jour un peu plus.

Ses rimes prônent la paix, il se qualifie d’humaniste presque d’utopiste : « Je suis vachement sur l’humain, le vivre-ensemble, j’essaie de mélanger toutes les catégories sociales, toutes les religions. » Dans son dernier morceau « Deviens quelqu’un », il place littéralement la culture au coeur d’un quartier populaire. Un piano rouge flamboyant se retrouve encerclé par les tours de sa cité natale. Le message est clair : s’ouvrir au monde par le biais du travail. C’est un appel direct aux jeunes de cité à se remettre en question. Il raconte comment lui a réussi à s’en sortir et donne les clés aux futures générations : « Je me suis levé du banc du quartier, j’ai jeté mon oinj, mon spliff, j’ai commencé à me fixer des rêves et à la place de me lever à neuf heures du matin j’ai commencé à me lever à cinq heures et je n’ai pas arrêté de travailler. »

« J’en veux à l’industrie musicale »

« Est ce que le rap d’aujourd’hui qu’on vend aux gamins leur sert positivement ? » Le rap est le genre musicale le plus consommé en France. Mais l’artiste n’en veut pas aux rappeurs. Pourtant, il déteste leurs sons qui prônent la violence par les armes, la consommation de drogue, la haine des forces de l’ordre. « J’en veux à l’industrie musicale. » Qu’est ce qui lui reproche ? Perpétuer des clichés et oublier l’humain : « Entre l’humain et l’argent, l’industrie musicale a choisi la deuxième option » Ceux qui diffusent cette musique ont donc une part de responsabilité non négligeable selon l’artiste. Les radios par exemple adoptent une ligne éditoriale rejetant un rap bienveillant et progressiste. Elles préfèrent diffuser un rap violent qui rentre dans les codes pour optimiser leur profit. « Les rappeurs en sont conscients, ils en jouent. Alors même les jeunes les plus doux et tranquilles semettent dans ces cases là car ils savent que c’est ce qui se vend ».

Kaotik 747 a choisi d’être indépendant, il trace sa route en dehors de ce système véhiculeur de clichés. Il va même jusqu’à défendre les forces de l’ordre, ce qui fait de lui un ovni parmi ses pairs : «S'il y a un ou deux qui font les cons, il faut penser à tout le reste qui sont prêts à donner leur vie lors d’un attentat. font les cons, il faut penser à tout le reste qui sont prêts à donner leur vie lors d’un attentat. » Avec son projet 18, il veut sortir des cases et interpeller ses collègues rappeurs : « Arrêtons de tous nous mettre dans des clichés, regardons nous dans les yeux et restons humains. »

« La France a créée une ghettoïsation »

Dans sa cité HLM derrière l’Ariane, le calme règne le maire a réussi à préserver un équilibre et une mixité sociale, contrairement à d’autres quartiers défavorisés de la région. « Quand un quartier perd son équilibre social, il devient une bombe », alerte-t-il. Selon lui, le problème remonte à la création de ces quartiers en France : « Dans les années 70, ces cités ont été créées et ont été vendues comme la modernité mais les classes moyennes et les cadres sont parties aux premières violences et l’Etat les a remplis de familles issues de l’immigration. La France a créée une ghettoïsation. » Le rappeur souligne la part d’erreur de l’Etat. « Il faut la reconnaître pour travailler sur ce passé pour construire le futur. »


Le vivre ensemble par la culture

« Dès que je peux prendre des jeunes avec moi sur des tournages ou en studio je le fais. Pour moi c’est une façon de leur donner le flambeau, de leur donner envie de travailler. » L’artiste ouvre son coeur mais également les portes de son univers à des enfants, comme ceux des Liserons : « La dernière fois j’en ai pris 10 âgés de 8 ans à 15 ans, je leur ai monté une chorale et donné des cours de chants. » En plus de leur transmettre de la volonté, Karim a envie de leur donner le droit de rêver. Le rêve permet de se fixer des objectifs. Selon lui, « La première mission d’un artiste est de divertir, de donner de l’amour et de procurer de l’émotion ». Dans cet esprit de partage c’est ce qu’il s’efforce à faire en transmettant son expérience. « C’est beau quand un gamin de huit ans qui sort du quartier commence à faire de la batterie, de la guitare et qu’il vient enregistrer avec moi sur un morceau. »

De ses petites initiatives indépendantes, le rappeur aimerait créer une initiative culturelle concrète à Nice. Il confie travailler depuis un an avec des équipes de Paris pour lancer un gros projet encore secret. Les deux objectifs sont : réorienter et responsabiliser les jeunes face à leurs actes et leur faire prendre conscience de leur potentiel de réussite. Le projet se veut inclusif : « Il sera bénéfique à tous les jeunes, aux assistantes maternelles qui viendront avec des tous petits. Mais aussi à tous les amoureux de la musique qui fassent du rock ou de la flûte traversière, du rap ou de l’électro. » S’avouant lui même utopiste il se projette : « Dans les années à venir je veux en faire le poumon culturel de la ville. », et finit « Le combat utopique l’humain en a besoin surtout en période de crise sanitaire. »

« Je ne veux pas que ce soit un projet à l’Ariane ou aux Moulins, je veux qu’il soit dans l’hyper-centre. » L’idée est de fédérer par la culture dans une optique de vivre- ensemble. « Je rêve d’un projet où le mec de 50 ans qui fait de la guitare rencontre le petit gars de 15 ans qui rappe aux Moulins qui va rencontrer le jeune qui fait du R’n’B à Cimier . » Le mot d’ordre est le désenclavement : « Ouvrir un quartier c’est comme ouvrir son esprit au monde. » Contre la ghettoïsation, pour lui il faut inverser la logique qui la favorise : « Aujourd’hui c’est la culture qu’on amène dans le quartier et pas le quartier qui se déplace en ville pour aller à la culture. Demain j’aimerais que ce soit l’inverse. » Rêveur, il conclut : « Dans la vie tout est possible, il faut juste se battre et se réveiller un peu plus tôt le matin. »

Par Eloïse Esmingeaud

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